Mais où est le Tam Dao d'antan ? (2 ème partie) Dans le précédent bulletin (n°166) , nous demandions aux anciens et anciennes du « Tam » de prendre la plume pour poursuivre notre balade à travers le temps et l'espace … Jean-Claude CARLOS, auteur d'un livre plein de fraîcheur destiné à ses proches -« Mes Premières Cerises »- a rassemblé ses souvenirs. Nous le remercions très vivement de nous avoir autorisés à en publier des extraits. Ils sont tout simplement superbes. De plus, tels les petits cailloux semés par le « Petit Poucet », ils nous ont fait retrouver le chemin d'antan. EXTRAITS DE "MES PREMIERES CERISES" La route entre Hanoï et le Tam Dao.
La Cote 400 Cette route est longue d'environ 80 km. Une fois le Fleuve Rouge franchi, nous prenions la direction de Vinh Yên par une route sans difficulté notable, si ce n'est sans état déplorable. De part et d'autre de la route, les scènes de la vie de tous les jours s'offraient à nous. Les « nhà quê » qui s'activaient dans les rizières et les « bé con » sur leur buffle donnaient au paysage sa vraie couleur locale. Après Vinh Yên nous commencions l'ascension vers le Tam Dao par une route en lacets. Vingt kilomètres de montée nous attendaient avec, à mi-parcours, une partie un peu plus raide que les autres, appelée côte 400. Cette côte 400 était une véritable hantise pour les chauffeurs et leurs voitures. Même les « citroens pressées » chauffaient et devaient s'arrêter pour laisser refroidir les moteurs. Un point d'eau était d'ailleurs prévu à cet effet. En cet été 1943, c'était encore cette route que j'allais prendre quand la décision fut prise de nous réfugier au Tam Dao… Je donnais du petit pont rouge qui enjambait le ruisseau de la Cascade d'Argent une description idyllique. Et effectivement le petit pont rouge nous attendait sous un soleil éclatant. Il était d'autant plus beau qu'il marquait la fin de notre longue marche. J'ignorais alors, bien sûr, que quelque part en Chine, un certain Mao… La vie au Tam Dao se déroulait à l'abri des bombes. La vie y était réglée par le rythme scolaire… Le jeudi, vers trois heures de l'après-midi, Maman amenait tous les enfants au dispensaire pour la pesée hebdomadaire…Toujours le jeudi, après la pesée, il y avait les Cœurs Vaillants avec leurs rituels jeux de piste, et prise de foulard. Enfin arrivait le week-end tant attendu… avec la venue des hommes de Hanoi, et donc de Papa. Nous étions tous là à l'arrivée du car du samedi, car nous savions qu'il allait débarquer avec des cadeaux pour tous… Après le repas du soir il nous arrivait de faire des parties de Monopoly homériques où j'avais l'insigne honneur de lancer les dés pour mon père. Comme ces parties se poursuivaient tard dans la nuit, je m'endormais avec des rêves d'hôtels sur les Champs Elysées et rue de la Paix. Le dimanche on se retrouvait sur le parvis-terrasse de l'église pour papoter avant d'entendre la messe et écouter le prêche du père Gallego. C'était un père missionnaire, de nationalité espagnole, qui avait quelques difficultés à bien prononcer le français. En chaire, il compatissait souvent aux malheurs de la France et disait que nous étions « andouilles » pour « en deuil ». Après la messe, une fois par mois, nous étions gratifiés d'un concert de musique militaire donné près du kiosque à musique. Mais le temps béni du Tam Dao était celui des vacances. Il y avait Noël, il y avait Pâques, avec ses cloches qui partaient pour Rome et revenaient trois jours après avec des friandises. Il y avait surtout les grandes vacances.
Les grandes vacances au Tam Dao. Le Jardin d'enfants Elles commençaient avec le 14 juillet… Nous attendions avec impatience les jeux nautiques de l'après-midi prévus à la piscine. Après une démonstration de plongeons, il y avait la course de 100m de nage libre. A peine avait-on acclamé le vainqueur de l'épreuve que l'animateur des jeux annonçait la course au canard. En général les chances du pauvre volatile étaient nulles…Je n'ai vu qu'une fois le canard sortir vainqueur. C'était un canard plongeur que personne n'était arrivé à saisir, et que l'on avait fini par gracier. Enfin arrivait le tournoi des joutes. Les embarcations étaient constituées de paniers en osier enduits de goudron, ce qui leur assurait une étanchéité toute relative. Chaque embarcation recevait à son bord un jouteur et un rameur. Il y avait une équipe bleue et une équipe rouge, chacune positionnée à une extrémité de la piscine ? et au signal donné, elles partaient s'affronter au centre de la piscine pour nous gratifier des scènes les plus cocasses avec le plus souvent écopage et naufrage avant tout abordage. Tous ces jeux se passaient dans la bonne humeur et, à la remise des prix, personne n'était oublié. Autant la fête du 14 juillet se voulait républicaine, autant celle du 15 août revêtait un aspect religieux. Le père Gallego nous octroyait une grande messe chantée, avec un prêche où la Vierge Marie tenait la vedette. Après la messe, il y avait la procession des jeunes communiants et communiantes de l'année encadrés par des bonnes sœurs. La procession faisait le tour de la station par la route de ceinture avec arrêts à des endroits névralgiques. A ces endroits les participants brandissaient une couronne de fleurs et entonnaient en chœur : Prends ma couronne, La fête se poursuivait dans l'après-midi à l'hôtel de la Cascade d'Argent où des jeux étaient organisés pour les enfants. Entre ces deux points forts des vacances, il y avait des périodes à thème qui, plus vite que la mode, changeaient de semaine en semaine. D'abord la période de la chasse aux coccinelles. Avec leur taille géante les « bêtes à Bon Dieu » du Tam Dao ont été l'objet de confrontations épiques entre bandes rivales, chacune marquant son territoire et l'interdisant à l'autre. La semaine suivante nous nous transformions en chercheurs d'or dans le ruisseau de la Cascade d'Argent. En fait ce n'était pas de l'or que nous trouvions, mais des paillettes de plomb argentifère aux quelles nous attribuions une valeur inestimable. Et là encore , il fallait protéger sa concession des bandits qui la convoitaient. Après les maquettes d'avion dont le parvis de la terrasse de l'église nous servait de rampe de lancement, on passait à la construction de chariots, comme les rues en pente du Tam Dao nous y invitaient. Mais les vacances avaient une fin. Avec le mois de septembre le brouillard commençait à envelopper le Tam Dao, et nous terminions la saison par des parties de cache-cache où nous n'étions que des ombres pour celui qui s'y collait. Le tigre du Tam Dao n'a probablement jamais existé…et poutant ! On y a cru, et on l'a même chassé. La rumeur était montée du village indigène en contre-bas où un « bé con » disait avoir vu, alors qu'il braconnait, deux « cau mat » verts, grands comme des soucoupes et accompagnés d'un rugissement qui traduisait en clair les intentions gloutonnes d'un grand fauve. Ce grand fauve ne pouvait être qu'un tigre et c'est la peur au « cai bung » , et « cai bung » à terre qu'il alla raconter sa mésaventure au chef de village. Celui-ci à son tour alerta les autorités chargées du maintien de l'ordre qui décidèrent d'organiser une battue . Le jour venu, les volontaires qui avaient répondu présents furent rassemblés, au petit matin, et répartis par petits groupes avec des objectifs très précis, comme le Pic Sud, le Val d'Enfer par le Lac Vert pour les plus courageux, le Col de Thai Nguyen à cause de la distance à parcourir. Chaque groupe était muni d'une pétoire à laquelle il ne manquait que deux roues pour en faire un canon. Et pour rendre l'atmosphère encore plus tendue, un brouillard épais avait enveloppé l'expédition dès son départ. Pendant toute la journée de la battue, les nouvelles du front arrivaient à l'état-major par des estafettes. C'est ainsi que l'on avait appris que la progression vers le Pic Sud avait été ralentie, voire même stoppée, à cause des sangsues et des maringouins. On signalait un accrochage au Val d'Enfer avec pétarade suivi d'un hurlement de douleur accompagné d'un juron. De Thai Nguyen arrivait le premier blessé : cheville foulée, suite à une mauvaise réception après un saut par dessus le ruisseau de la Cascade d'Argent. L'attente se prolongeait et les suppositions des civils à l'arrière allaient bon train, surtout à cause de la pétarade du Val d'Enfer. En fin d'après-midi, les patrouilles revinrent une à une au point de départ, toutes bredouilles et dépitées, sauf celle du Val d'Enfer qui se faisait attendre, dans les acclamations.
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